Anthropic? Le nom ne dit a priori toujours pas grand-chose à l’immense majorité des internautes. Sans doute son chatbot Claude est-il à peine plus connu. Et pourtant, ce spécialiste de l’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui la star du secteur de la technologie. La firme américaine a beau être dans l’ombre de ses plus grands rivaux, tels OpenAI, Microsoft ou Meta, elle n’est pas loin derrière. Et surtout, ces jours, alors que les craintes sur l’explosion d’une bulle autour de l’IA s’accroissent, Anthropic présente tous les ingrédients d’un cocktail qui pourrait être explosif.

Avant d’en venir à l’actualité brûlante, rappelons le parcours de cette start-up. La firme a été fondée en 2021, et comme pour beaucoup de nouveaux acteurs de l’IA, elle l’a été par des anciens d’OpenAI. Mais leur particularité, c’est leur lien de parenté, puisque Daniela et Dario Amodei sont sœur et frère. La première est aujourd’hui présidente d’Anthropic, le second est son directeur. Leur société, qui compte plus de 1300 employés, a vite voulu concurrencer ChatGPT, en lançant Claude quatre mois après le produit phare d’OpenAI, soit en mars 2023. Très rapidement, ce chatbot a séduit ses spécialistes par la qualité du contenu généré, au niveau, voire supérieure, à celui fourni par ses grands rivaux.
Meccano financier

Ce qui est particulièrement intéressant avec Anthropic, c’est le gigantesque meccano financier mis en place autour de la société. Mardi, Nvidia et Microsoft annonçaient ainsi l’investissement de respectivement 10 milliards et 5 milliards de dollars dans la société du duo Amodei. Que fera la start-up avec cette manne? Acheter de la puissance de calcul, bien sûr. Le même jour, Anthropic révélait l’acquisition pour 30 milliards de dollars de capacités auprès d’Azure, la plateforme d’informatique dématérialisée (cloud) de Microsoft. Ceux qui estiment que ce type d’accords circulaires est un risque n’auront sans doute pas été rassurés par les propos de Satya Nadella, directeur de Microsoft: «Nous allons petit à petit devenir les clients les uns des autres. Nous allons utiliser les modèles d’Anthropic, ils vont utiliser notre infrastructure et nous irons sur les marchés ensemble pour aider nos clients à profiter pleinement de la valeur créée par l’IA», a-t-il déclaré.

Ce n’est pas le premier accord de ce type. Le 23 octobre dernier, Anthropic annonçait un giga-contrat avec Google, pour utiliser jusqu’à un million de puces informatiques de ce dernier. Cette alliance, affirme Anthropic, «représente des dizaines de milliards de dollars et devrait permettre de mettre en ligne plus d’un gigawatt de capacité en 2026» – soit la puissance moyenne d’un réacteur nucléaire. Et le 12 novembre dernier, la société annonçait son intention d’investir 50 milliards de dollars dans la construction de centres de données au Texas et dans l’Etat de New York.
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Amazon dès le début

Anthropic a de ce fait des liens étroits avec ses concurrents et une indépendance toute relative. Et c’est encore plus clair lorsque l’on observe ses investisseurs initiaux. En effet, la start-up a reçu, en plusieurs tranches, 8 milliards de dollars de la part d’Amazon, et environ 2 milliards de la part de Google.

Au rythme de ces tours de financement, réalisés principalement par des acteurs de l’IA, la valorisation d’Anthropic a atteint des niveaux stratosphériques: 4 milliards de dollars en avril 2022, puis 60 milliards en mars de cette année, 183 milliards en septembre dernier et… quelque 350 milliards après l’accord de cette semaine avec Nvidia et Microsoft, selon CNBC. A titre de comparaison, la valorisation d’OpenAI est aujourd’hui de 500 milliards de dollars.
Loin… et proche d’OpenAI

Comment expliquer un chiffre si proche de celui de l’éditeur de ChatGPT? D’abord, il y a un écart quant au nombre d’utilisateurs des deux plateformes: plus de 800 millions de clients réguliers de ChatGPT, contre environ 15 à 20 millions pour Claude selon des estimations externes. Anthropic compterait 300 000 clients entreprises pour son chatbot, contre plus d’un million pour OpenAI. Côté revenus, la société de la fratrie Amodei devrait afficher un chiffre d’affaires d’environ 7 milliards de dollars cette année, avec des projections à 26 milliards pour l’an prochain. Concernant OpenAI, les estimations sont respectivement de 12 et 30 milliards. Au final, même avec des nombres d’utilisateurs sensiblement différents, les deux concurrents sont a priori sur des trajectoires proches en termes de revenus.

Il y a un autre point commun entre les deux firmes: les prévisions de leurs dirigeants, souvent teintées d’une couche d’exaltation. «L’IA deviendra plus intelligente que la plupart ou la totalité des humains, et ce, à tous les égards», a affirmé il y a quelques jours Dario Amodei sur CBS. Il y a un an, le dirigeant annonçait l’arrivée d’une «IA puissante» d’ici cinq ou dix ans, voire en 2026. Elle sera capable de «prendre ou donner des instructions à des humains, commander du matériel, diriger des expériences, regarder des vidéos, réaliser des vidéos, etc.», le tout avec des «compétences qui dépassent celles des humains les plus compétents du monde».
Scientifique de renom

A noter que Dario Amodei n’a rien d’un gourou du marketing: il est titulaire d’un diplôme en physique de l’Université Stanford, d’un doctorat dans cette même matière de Princeton – où il a étudié l’électrophysiologie des circuits neuronaux – et il a été chercheur en médecine à Stanford. «Nous nous rapprochons d’une IA qui pourra accélérer les découvertes scientifiques et résoudre des problèmes complexes», assurait-il il y a deux semaines.